Coups de bâton publics dans la province indonésienne d’Aceh au nom de Dieu

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L’imposition de la charia dans la province indonésienne d’Aceh se fait aussi par des meurtrissures. Le 28 novembre, cinq personnes sont passées par le bâton de rotin, elles ont subi la main du bourreau pour la plus grande joie d’une foule électrisée de fanatisme religieux. La pratique est régulière depuis que la province a obtenu son autonomie judiciaire en 2005 après trois décennies de conflit pour s’affranchir de Jakarta. Fin mars dernier, une jeune femme de 22 ans, condamnée à 20 coups pour avoir rencontré son petit ami, s’était évanouie avant la fin de la punition également subie par son l’élu de son cœur.

Les crimes au regard de la loi locale étaient divers, les sanctions de même nature, infligées dans une mosquée de la capitale de la province, Banda Aceh. Une femme de 34 ans, qui levait les bras pour se protéger en criant que les coups lui faisaient trop mal, était flagellée à sept reprises pour avoir passé du temps près d’un homme dont elle n’était pas l’épouse ; et l’homme de 32 ans duquel elle avait été estimée trop proche partageait le même sort. Deux autres de 19 ans, une femme, restée silencieuse sous les traits fendants l’air, et un homme, recevaient chacun cent coups de canne pour avoir eu des relations sexuelles en dépit de leur célibat. Un homme subissait vingt-deux coups pour relations sexuelles hors mariage, tandis que sa partenaire, enceinte, était encore en jugement.

La possibilité pour les non-musulmans de demander à recevoir des coups

Depuis que la charia a été instaurée dans la province d’Aceh, la punition par les coups de canne est habituelle

Depuis que la charia a été instaurée dans la province d’Aceh, la punition par les coups de canne est habituelle, que ce soit pour relations sexuelles hors mariage, jeu ou consommation comme vente d’alcool. Ces interdictions ne touchent pas que les musulmans, les minorités sont également concernées. Le 12 avril, une chrétienne âgée de 60 ans a été la première non-musulmane à recevoir des coups de bâton, elle avait vendu de l’alcool. Condamnée à en subir 30, elle n’avait été frappée que 28 fois, son temps de détention permettant de réduire le nombre de coups. Après que la police avait découvert de l’alcool chez elle, la justice lui avait laissé le choix entre la prison et les coups. Seuls les musulmans sont obligatoirement frappés quand ils commettent ce qui est considéré comme enfreignant la charia, mais les autres peuvent demander à être punis de cette façon s’ils la préfèrent à des années d’emprisonnement.

Sous le soleil ardent de la jinayat, des administrés concurrencent la police religieuse

« Mettre bon ordre à la vie quotidienne »

Aceh est la seule province indonésienne à appliquer la charia, elle bénéficie d’une autonomie acquise après une trentaine d’années de conflit avec le Gouvernement central. Les indépendantistes qui se sont finalement résignés à l’autonomie, réclamaient de pouvoir profiter des richesses naturelles de leur province après que l’on y avait découvert du gaz et du pétrole, mais aussi de vivre sous le régime de la charia, Si le Gerakan Aceh Merdeka (Mouvement pour un Aceh libre), qui combattait Jakarta jusqu’à l’accord de paix et sa dissolution subséquente, se disait laïque, il avait pour principe de défendre l’identité religieuse traditionnelle de la province. Déjà introduite, en guise de concession, par le Gouvernement central en 1999, la charia est devenue la norme de référence pour les musulmans de cette frange septentrionale de Sumatra dont le surnom est la « Terrasse de La Mecque ». Il n’y avait alors encore aucune vraie police des moeurs avant 2005 et la paix avec le Gouvernement, pour faire appliquer la charia, et les citoyens se chargeaient eux-même d’arrêter ceux qui contrevenaient à la loi islamique. Depuis, la police religieuse, la Wilayatul Hisbah (vérification d’une zone administrative) s’assure du respect de la jinayat, le code islamique. Et ses compétences sont étendues depuis octobre 2015, avec l’arrêté élargissant le code pénal. La police religieuse veille toujours davantage à la morale, repère les couples non mariés ou les joueurs. Le chef de l’Agence de l’ordre public et de la police de la charia explique sobrement la nécessité d’une telle vigilance : « Pour mettre bon ordre à la vie quotidienne. » Au début de la même année, en février, l’administration et le conseil législatif avaient approuvé le projet d’imposer la charia à tous, avec la possibilité pour les non-musulmans de choisir parmi les lourdes peines.

D’après l’arrêté finalement pris huit mois plus tard, soumettant la population à cette loi, les relations homosexuelles et plus largement sexuelles hors du mariage sont punies de 100 coups de bâton ou 100 mois d’emprisonnement, consommer ou boire de l’alcool peut amener son auteur à subir jusqu’à 40 coups. Jouer ou être avec quelqu’un de l’autre sexe sans être marié fait encourir 12 coups. Jusqu’en octobre 2015, les contrevenants au code islamique encouraient jusqu’à 40 mois de prison. Même les touristes sont concernés. Et les femmes se disant victimes de viols doivent elles-mêmes prouver l’agression, faute de quoi elles sont également punies.

Ces contraintes ouvrent la porte à des abus de la part d’administrés ou de policiers

Ces contraintes ouvrent la porte à des abus de la part d’administrés ou de policiers. Ainsi, début mai 2014, huit hommes, dont un adolescent de 13 ans, ont violé une femme qui recevait un homme chez elle, battu ce dernier avant de les livrer, sans rien dire du viol, à la police qui a interrogé leurs victimes pour « ternissement de la réputation du village ». Au cours de l’entretien, la femme a mentionné l’agression sexuelle que des tests ont confirmé, et trois hommes, parmi les huit ayant attaqué le couple, ont été immédiatement arrêtés. Les autorités ont tout de même décidé de châtier le couple par les habituels coups de bâton, ce qui a provoqué une vague de critiques dans le reste du pays, largement musulman mais sécularisé et hostile à la charia.

Début 2010, des policiers avaient violé une jeune femme après l’avoir arrêtée en compagnie de son ami, le chef local de la police avait été démis de ses fonctions. Car, en Aceh, on ne plaisante pas avec la loi, elle s’applique impitoyablement sur tous les administrés, qu’ils soient victimes ou non d’une injustice après avoir commis infraction, mais concerne également ceux qui prétendent appliquer la charia en outrepassant la morale des lieux. L’idée ne semble pas être de rendre justice aux victimes de viols qui auraient auparavant enfreint la loi, mais de punir ceux qui abusent d’elles et enfreignent donc eux aussi la loi.

Une police islamique en partie féminine

Particularité de la province, la police religieuse, la Wilayatul Hisbah est également composée de femmes qui peuvent ordonner aux hommes de se rendre à la mosquée. Le statut de la femme est différent dans cette région de celui appliqué dans d’autres zones comme l’Arabie saoudite. Dans le royaume wahhabite, des femmes peuvent désormais être membres de la police religieuse, mais en Aceh, les femmes ont davantage de droits, jusqu’à entrer par la même porte que les hommes à la mosquée, ce qui, dans la culture locale, empêche de délégitimer l’autorité de ces policières. Cette présence féminine dans la police permet également de réduire le risque d’abus sexuels par les hommes portant l’uniforme. Elles contrôlent les femmes dans la rue et les questionnent sur leurs vêtements, se justifiant par le besoin de prévenir la concupiscence masculine : « Les femmes qui portent des vêtements serrés invitent les hommes à faire de mauvaises choses, comme le viol. Si un homme ne voit rien, il ne ressentira pas de convoitise. Les femmes l’invitent. Leurs courbes suscitent la convoitise des hommes », explique une femme policière dans la ville de Langsa.

La lapidation des adultères, une pratique pourtant illégale

Cette loi religieuse aurait pu être encore plus brutale et comprendre la lapidation

Cette loi religieuse aurait pu être encore plus brutale et comprendre la lapidation. Le Conseil législatif de la province avait voté en faveur de la peine de mort par jets de pierres dans les cas d’adultère, mais le Gouvernement d’Aceh refusa de signer l’arrêté, en septembre 2009. Le ministre de l’Intérieur déclara qu’une telle loi serait préjudiciable aux Acehnais et effrayerait les investisseurs et les visiteurs. Aceh tient, en effet, à équilibrer la charia avec ses besoins notamment économiques, et pendant la période de présence des humanitaires suite au tsunami de 2004, les autorités de la province ont fait preuve de souplesse.

Face à l’impossible conciliation avec le législateur, le Gouvernement a retiré de l’arrêté la disposition qui aurait légalisé la lapidation, en mars 2013. La pratique, qui aurait dû être ainsi établie dans le droit écrit, consistait à enterrer partiellement une personne coupable d’adultère sur le bord de la route, à un carrefour, pour qu’elle fût soumise aux jets de pierres, seule la tête de l’épouse adultère dépassant du sol, et l’homme n’étant dans la terre que jusqu’à la taille. Le chef de la police d’Aceh désapprouve ces méthodes, il estime que seule la police doit pouvoir frapper ou tuer les coupables. Parce qu’il estime qu’elle seule doit être habilitée à le faire, tout comme elle doit le faire : « J’ai une responsabilité envers Dieu. C’est mon travail d’encourager le bien et de prévenir le mal. »

En octobre, treize personnes, dont six femmes, avaient été flagellées en public ; la majorité pour des gestes estimés déplacés, des baisers. L’un des hommes l’a été pour s’être retrouvé avec une femme dans un lieu secret où ils auraient pu succomber à la tentation de l’adultère, et une femme enceinte a été condamnée à n’être frappée qu’après l’accouchement. Comme à l’habitude, la foule s’était réunie devant la mosquée pour assister à l’exécution de la justice religieuse. Selon le rapport d’Amnesty International sur les droits de l’homme à travers le monde publié le 24 février 2016, le bâton de rotin s’est abattu sur 108 personnes depuis l’adoption du règlement en octobre de l’an passé.

Hans-Søren Dag


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